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Des hommes et des mots

Solidarité

, 02:41am

Publié par Patrice Branche

Photo Xavier Schwebel/Secours catholique

Photo Xavier Schwebel/Secours catholique

Comme chaque année, le Secours Catholique publie son rapport statistique qui permet de rendre compte de l’évolution des différentes formes de pauvreté qu’il rencontre. Cette année, le Secours Catholique a choisi de porter un regard sur dix ans d’actions auprès des personnes accueillies par l’association. Rencontre avec Philippe Idiartegaray, délégué diocésain. Il trace pour nous un constat accablant sur une pauvreté qui s’ancre en Gironde.

 

Quels constats ce rapport met-il en lumière ?

Philippe Idiartegaray : Les situations de pauvreté s’installent et se durcissent.

La pauvreté n’est plus accidentelle mais devient structurée. Non seulement les pauvres que nous rencontrons sont dans des situations de pauvreté beaucoup plus dures et complexes qu’il y a dix ans, mais les deux tiers sont en deçà du seuil de grande pauvreté !

Si un tiers des personnes rencontrées en 2001 comme en 2011 avait déjà fréquenté les lieux d’accueil du Secours Catholique l’année précédente, elles sont de plus en plus nombreuses à être orientées par les services sociaux (50% en 2011 contre 42 % en 2001) et à ne pas avoir connu de changement majeur dans leur situation.

A travers ses accueils, le Secours Catholique constate également que les situations de pauvreté ne sont plus la conséquence immédiate d’une difficulté particulière, d’un accident de la vie, mais qu’elles cumulent de nombreuses difficultés : emploi précaire, logement, santé, charges élevées…

Cet accompagnement demande du temps…

Ces situations exigent aujourd’hui des bénévoles un accompagnement dans la durée. Au-delà du soutien financier, nous essayons d’apporter un soutien moral, de l’estime et de la confiance, de poser un regard positif sur les personnes. Ces situations découragent les ménages, leur donnent des complexes, leur font honte et les isolent. Il nous faut donc de nombreuses rencontres, le temps de bien comprendre la situation, d’orienter ces pères ou mères, de faire valoir leurs droits, évoquer leurs projets, leur envies…

Vous les aidez aussi concrètement…

Si nous les aidons et les soutenons financièrement et moralement, nous cherchons aussi à soutenir les projets qui sont déterminants : il nous arrive de proposer des aides beaucoup plus importantes et opérantes quand cela peut provoquer une véritable amélioration de la situation : financement d’une formation indispensable, achat d’un véhicule obligatoire, déménagement évident…

Le rapport évoque une très grande pauvreté, comment la mesurer ?

Alors que le seuil de pauvreté est de 964 euros, depuis 10 ans, 68 % des ménages rencontrés par le Secours Catholique vivent dans une très grande pauvreté, c'est-à-dire avec des revenus inférieurs à 40% du niveau médian. Soit 642 euros par mois pour une personne seule ou 1027 euros pour une maman avec deux enfants de moins de 14 ans. Au total, le Secours Catholique rencontre ainsi un million de personnes en grande pauvreté sur les deux millions que compte le pays. En 2011, les chômeurs représentent 66% des personnes rencontrées contre 58% en 2001. Ce qui rend particulièrement significatifs les constats et propositions que nous formulons !

Un autre aspect du rapport, le poids des charges

Les délégations d’Aquitaine accueillent la plus grande proportion de personnes ayant un emploi. Ces travailleurs saisonniers ou à temps partiel représentent près d’1/4 des personnes aidées. Depuis dix ans, l’inflation générale est estimée à 19 %. Cependant, l’inflation subie par les ménages plus modestes est bien supérieure au regard des charges contraintes. Outre la hausse des prix des loyers, les ménages en situation de pauvreté ont subi très fortement les augmentations du prix de l’eau (38%), de l’électricité, du gaz et autres combustibles (48%). L’alimentation de base est également nettement plus chère ces dernières années. Si bien que l’inflation supportée par les foyers les plus modestes est en réalité 4 fois supérieure à l’inflation générale, puisque les produits courants augmentent en moyenne de 6 à 8% sur ces 4 dernières années !

60% des personnes rencontrées survivent avec des impayés. Sur l’Aquitaine, 24% de ces impayés concernent le logement et 52% les charges eau-gaz-électricité, 22% les frais bancaires. Il s’agit bien de charges incompressibles !

Il existe pourtant ce qu’on appelle les minimas sociaux, non ?

En 1988, le RMI correspondait à la moitié du SMIC. Le RSA, créé en 2007, actualisé en 2009, correspond à 42 % du SMIC. Tout ce que je viens de vous décrire, conjugué à la hausse des charges contraintes, fait que les personnes bénéficiaires des minima sociaux ne s’en sortent pas ! On pourrait parler de “sous-minima sociaux”. Ces ménages s’enfoncent dans une pauvreté qui devient structurelle et insurmontable : les minima sociaux ne jouent plus leur rôle d’amortisseur sur le plan budgétaire et social.

Un autre constat ?

Si en 2001, le Secours Catholique rencontrait autant de femmes que d’hommes, dix ans plus tard, 57 % des adultes en situation de pauvreté sont des femmes ! L’augmentation de la pauvreté féminine est essentiellement due à l’augmentation du nombre des familles monoparentales. Plus de la moitié des enfants rencontrés par le Secours Catholique vivent au sein d’une famille monoparentale. Plus largement, la situation des familles que nous rencontrons s’est considérablement dégradée ces dix dernières années. Entre 2001 et 2011, on note une augmentation de 6 points du nombre de familles qui ont fait appel à l’association (53% en 2011). La crise économique a eu un effet accélérateur sur les familles, une situation qui se répercute aussi durablement sur les enfants. Parmi les constats on pourrait aussi parler de la dégradation des conditions de vie des migrants dont les ressources financières sont souvent dérisoires : en 10 ans, leur part au Secours Catholique passe de 23% à 30% des personnes rencontrées. Nous demandons le droit au travail pour les demandeurs d’asile, aboli en 1991.

 

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Définitions

Pauvreté monétaire : un individu (ou un ménage) est considéré comme pauvre lorsque son niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. Ce seuil est calculé par rapport à la médiane de la distribution nationale des niveaux de vie. Les seuils traditionnellement retenus par l’Insee et l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale sont fixés à 60 % ou à 50 % du niveau de vie médian, le seuil à 60 % étant privilégié en France et en Europe.

Le taux de pauvreté correspond à la proportion d’individus dont le niveau de vie est inférieur à ce seuil, soit 788 euros par mois en France en 2004.

Intensité de la pauvreté : l’intensité de la pauvreté est l’écart entre le niveau de vie médian des personnes pauvres et le seuil de pauvreté, rapporté au seuil de pauvreté. Elle permet de mesurer si les niveaux de vie des plus pauvres sont proches du seuil de pauvreté.

Les minima sociaux visent à assurer un revenu minimal à une personne (ou à sa famille) en situation de précarité. Ce sont des prestations sociales non contributives, c'est-à-dire qu'elles sont versées sans contrepartie de cotisations. Le RSA qui vise à lutter contre les exclusions est un des plus connus.

Les autres allocations visent des publics spécifiques confrontés à un risque de grande pauvreté, par exemple : les chômeurs de très longue durée, avec l'allocation de solidarité spécifique (ASS) pour ceux ayant épuisé leurs droits à l'assurance chômage ; les personnes handicapées (allocation aux adultes handicapés - AAH) ; les personnes âgées (minimum vieillesse). (Source INSEE).

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Des propositions

Les enseignements tirés du rapport statistique 2012 amènent le Secours Catholique à émettre des propositions dont voici les principales :

  • simplification et réduction des procédures pour faciliter l’accès aux droits,
  • développement de l’offre de formation qualifiante tout au long de la vie,
  • renforcement des moyens de Pôle emploi pour l’accompagnement dans la durée des demandeurs d’emploi,
  • augmentation du RSA de 25 % durant le quinquennat,
  • création d’une allocation de soutien à l’autonomie des jeunes de moins de 25 ans,
  • en matière d’hébergement : garantie d’un accueil inconditionnel de toute personne, quelle que soit sa situation administrative, tout au long de l’année,
  • construction de 500 000 logements par an dont 150 000 logements sociaux,
  • mise en place d’un “bouclier énergétique” pour les personnes en difficulté qui concernerait les dépenses de toutes formes d’énergie,
  • restauration du droit au travail pour les demandeurs d’asile.
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Rencontre


Zohra est une mère de famille qui vit sur la rive droite dans une commune en limite de la CUB. Aide-soignante diplômée, cette mère de famille séparée de son mari passe 12 heures par jour sur son lieu de travail. Rencontre avec cette mère courage et ses enfants. Elle est passée par le Secours Catholique et a pu rebondir.

Zohra, vous êtes une mère de famille comme les autres ?

Zohra : Je vis seule avec deux jeunes enfants. Leur père et moi sommes séparés depuis 2006. Il avait une société de peinture et ça se passait bien; puis il a fait faillite et a été saisi en 2009. Moi, je suis aide soignante en maison de retraite. C’est un métier avec des horaires difficiles (8h – 20h). J’habite sur une commune très mal desservie donc il me faut une voiture. Cela augmente mes frais.

Vous vous relevez d’une période difficile.

J’ai eu plusieurs fois des rejets de chèques et j’ai fait la bêtise de prendre un crédit à la consommation (300 €). J’avais de plus en plus de frais bancaires qui n’arrêtaient pas de s’élever et je ne savais plus quoi faire ; je suis allée voir l’assistante sociale qui m’a envoyée au CCAS de ma commune. Mais je n’arrivais pas à couvrir tous les frais liés aux rejets. Et donc j’ai été prise à la gorge ! Heureusement je me suis retournée vers le Secours Catholique qui a pris en charge plusieurs factures, qui a contacté les organismes pour qu’on m’octroie un délai ou me supprime une partie de ces frais.

La situation s’est dégradée quand j’ai décidé de faire une formation : j’ai voulu passer mon bac pour tenter le concours d’infirmière. C’est le DAE# à l’université. Cela coûtait 600€ et j’ai fait trois chèques. Mais je n’ai pas pu faire la formation : j’étais au RSA et l’assistante sociale m’a clairement demandé d’annuler, de chercher du travail et de ne pas faire cette formation. Elle a contacté l’université pour dire que j’avais des difficultés et celle-ci n’a pas encaissé les deux derniers chèques qu’elle m’a renvoyés.

Ce n’est pas facile de se faire aider. Pourquoi êtes-vous allé vers le Secours Catholique ?

J’étais très contrariée. Lorsque je suis allée voir l’Assistante Sociale, j’ai été très déçue. Par contre, elle a été super parce que c’est elle qui a contacté l’université. Mais elle n’a pas soutenu mon projet. J’ai contacté le Secours Catholique, ils sont venus me voir ; on a fait le point, ils m’ont aidé ; nous avons fait des courses ensemble et ils ont même acheté de l’essence pour ma voiture ! J’en avais vraiment besoin !

Le soutien de votre famille ?

Je ne pouvais pas trop parler de ma situation à ma famille qui n’est pas loin. Le fait que j’ai demandé le divorce, même des années après, ça ne passe pas trop bien. Aussi est-il difficile de leur demander de l’aide. Mais ils m’ont vraiment soutenu à un moment où j’en avais particulièrement besoin. Dans des moments comme ça, on est vraiment perdu, on a toutes les portes qui se ferment et en plus c’était en période de fête, alors c’était horrible !

Vous avez retrouvé un travail…

Entre temps, je n’avais pas le choix pour trouver un travail avec des horaires qui me conviennent. Je n’avais pas de garde pour les enfants. Le matin, je commence à 8h et la garderie ouvre à 7h, donc j’ai largement le temps de déposer les enfants, par contre je termine à 20h. La première année mon fils était en CM2 et ils rentraient à pied tous les deux. Ce n’était pas rassurant. Je n’étais pas apaisée avant d’avoir reçu leur appel de la maison. Cette année, mon fils est au collège et la petite prend le bus scolaire. En arrivant, ils font leurs devoirs, mettent le couvert ; quand j’arrive, je prépare le dîner, vérifie les devoirs de l’un pendant que l’autre se douche. Quand ils se couchent, il est plus de dix heures. Très tard pour ces enfants !