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Des hommes et des mots

Solidarité

15 Octobre 2012, 19:18pm

Publié par Patrice Branche

Solidarité
Photo : Patrice Branche

Les voisins des Roms


A Floirac, comme dans d’autres banlieues de l’agglomération bordelaise, en Gironde et de nombreux départements, dans la presse comme à la télévision, les Roms font la une. Cette actualité forte et parfois violente nous amène à regarder en face une situation qui nous dérange dans notre confort et nous met mal à l’aise. A nos portes, des squats abritent dans des conditions sordides des européens dont la dignité est malmenée.

Plusieurs squats ont pignon sur rue, rive droite. Certains, bidonvilles implantés sur des zones à construire, ont été démolis. Aujourd’hui leurs habitants, soixante à quatre-vingts personnes, familles avec de jeunes enfants et des personnes âgées, se sont repliés sur d’anciens logements inhabités, propriété d’EDF, rue Gaston Cabannes. Ils sont essentiellement Bulgares, originaires de la même ville, Pazardjik, et vivent en France, pour la plupart, depuis six ou sept ans.

Parias dans leur pays

La misère, la marginalisation, l’aspiration à une vie meilleure – cette espérance qui, depuis des millénaires, déplace tous les migrants – les ont conduits ici. La même espérance qui, en son temps, a envoyé des européens conquérir le Nouveau monde. Le même rêve qui, naguère, a attiré bien des Espagnols et Italiens chez nous et a fait d’eux des manœuvres, des artisans ou des entrepreneurs. Les conditions de vie sont plus que difficiles en Bulgarie et il n’y a guère d’issue pour ces familles marginalisées par leur condition de Roms, parias dans leur pays. S’ils ont une maison en Bulgarie, ils ne peuvent pas avoir l’eau courante ou l’électricité. Question travail, peu de débouchés pour ces ouvriers agricoles, éleveurs de chevaux, travailleurs du métal ou fondeurs. Le système de santé n’est pas conçu pour eux qui sont pauvres. L’école non plus, ne remplit pas son rôle et l’évolution des mentalités est bloquée. L’argent est un obstacle. Il ne reste donc que la fuite, pour une vie meilleure. A n’importe quel prix.

Une vie meilleure

Janine Barrouillet et Françoise Chaumel, voisines des Roms, ainsi qu’elles se désignent, connaissent bien les plus anciens d’entre eux et s’occupent des derniers arrivants en provenance d’autres squats. Les bâtiments de la rue Gaston Cabannes abritent des familles issues du milieu agricole et qui se sont “reconverties”, pour certaines, dans le bâtiment. Les fondeurs ont migré dans les bois, du côté de Villenave d’Ornon et d’autres vers l’avenue Thiers. Ceux qui travaillent, souvent “au noir”, faute de papiers, sont employés dans les vignes, le bâtiment, le nettoyage de constructions avant livraison. Ces hommes et ces femmes ne sont pas déclarés et souvent exploités par des employeurs malhonnêtes voyant l’aubaine. Mais cela donne, malgré tout, un revenu aux familles. Cette part sombre des conditions de travail est en train de changer. « On a vu une évolution, indique Janine Barrouillet : des entreprises emploient des vignerons avec un contrat et les louent aux châteaux ». Des employeurs veulent sortir du travail illégal et cherchent à régulariser les situations. Mais les dossiers sont très stricts et extrêmement complexes à monter, les régularisations peu nombreuses. Janine et Françoise consacrent une majeure partie de leur aide à ces aspects administratifs. Leurs démarches auprès de la Direction départementale du Travail, de la Chambre des métiers, de la Préfecture, ont abouti pour trois familles qui ont trouvé un CDD. « Nous attendons la réponse pour le CDI » espèrent-elles. Loin de se mettre en valeur, regrettant la peur des chrétiens à s’engager à leurs côtés, Janine et Françoise montrent que finalement cette aide est à la portée de n’importe quelle bonne volonté : « Cette action est accessible à tout le monde. C’est relativement facile de faire ces démarches, il faut se documenter, il faut être patient ».

Questions à...

Questions à Janine Barrouillet et Françoise Chaumel

Comment vous êtes-vous intéressées à ces familles ?

Françoise : Nous connaissons la plupart de ces familles depuis un an. Nous n’arrivons pas avec notre « science », mais avec notre bonne volonté. Nous avons rencontré les premières familles quand elles faisaient la manche à la sortie de l’église Sainte Thérèse de Floirac, quand elles vivaient dans le bidonville de la rue Jules Guesde. Nous avons dominé notre appréhension, nous avons parlé puis sympathisé. De fil en aiguille, nous sommes devenues les “voisines des Roms”. Nous les avons accompagnés, dans la scolarisation des enfants, les démarches au Centre Académique pour la Scolarisation des Nouveaux Arrivants et des enfants du Voyage (CASNAV), pour l’accès aux différentes aides, dans la lecture des courriers… Leur désir d’intégration est très fort : des femmes sont inscrites au Centre social pour apprendre le français.

Les Roms, des frères…

Janine : Notre démarche se veut évangélique. Habitant non loin de ce squat, il nous semblait, du seul point de vue humain, qu’il n’était pas possible de passer à côté et de ne rien faire. Et nous ne savions pas ce que nous pouvions faire ni où notre engagement allait nous mener ! Mon cheminement personnel a été progressif. Éducatrice issue de la fonction publique, j’étais peu engagée dans l’Église. A la retraite, une rencontre de Carême m’a conduite où je suis aujourd’hui. La rencontre avec la mort, celle de ma mère, puis dans le cadre d’une association de soins palliatifs, la maladie aussi, m’ont fait évoluer. J’ai fait partie du Service évangélique des malades. Puis cette question des Roms s’est imposée. Je m’attendais à ce que l’on soit plus nombreux et, en fait, nous nous sommes retrouvées toutes les deux et deux ou trois sympathisants qui soutiennent la cause…

Françoise : J’ai été élevée dans une famille très chrétienne. A la retraite, je ne me voyais pas ne rien faire et ne pas me tourner vers les autres. Je suis entrée au Secours catholique puis j’ai vécu cette histoire de squat comme une évidence. Je me suis dit que cela correspondait aux valeurs auxquelles je crois. Le chemin était tout trouvé ! Je ne pensais pas que cela irait aussi loin : c’est tout de même lourd !

Les Roms font peur ?

Janine : Les appréhensions ne sont pas fondées ! Il est rare que je sorte de chez eux sans qu’ils m’aient donné de l’énergie ! Ceux dont on s’occupe, chez qui il n’y a pas de ressources, qui vivent avec des enfants dans des conditions impossibles, avec parfois la maladie, sont d’une gaieté, d’une énergie incroyables. Mais c’est une microsociété : il a des gens qui, comme partout, sont des tire-au-flanc, d’autres vaillants. Notre grande frustration est de voir le peu de chrétiens qui s’impliquent. Il y a aussi les idées reçues, mafias, belles voitures, qui rendent méfiants ou font peur. Ces personnes font la manche, mais elles sont capables d’aller jusqu'à Saint Médard en Jalles ou Parempuyre pour gagner leur journée. Et toutes les femmes voudraient travailler et faire ce que les Français ne veulent pas faire. Mais sans carte de séjour, pas d’accès à Pôle emploi ou à la Mission locale.

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