Toi, l'étranger...

Un peuple de promeneurs

Rencontre avec Alexandre et Délia Romanès

Les Roms font encore la une des journaux, cet été. Le Cirque familial Romanès, le seul cirque Tzigane d’Europe, prend ses quartiers d’hiver à Bordeaux, Quai Deschamps, du 27 septembre 2012 au 6 janvier 2013. Rencontre avec Alexandre et Délia Romanès, qui se battent pour faire une place à la culture tzigane et changer l’image des Rroms.

Romanès, il y a du « Rroms » dans votre nom… Vous êtes Rroms, Tziganes, Gitans… ?

Alexandre Romanès: Les Tziganes de l’Est Européen ne sont pas appelés Roms, ni par les autorités ni par les non-tziganes. Il y a quelques années les Gitans français ont décidé de se faire appeler Tziganes en signe de solidarité avec leurs frères de l’Est. Il y a moins de dix ans, des intellectuels tziganes, Vanko Rouda en tête, ont demandé aux autorités européennes d’utiliser le nom « Roms# » plutôt que « Tziganes », car l’image des Tziganes était, d’après eux, négative. J’ai posé la question suivante à Vanko Rouda : « Si on supprime le mot « juif », est-ce que l’antisémitisme tombe ? ». Sa réponse a été… : « Non ! ». Donc, je dis qu’ils ont fait une bêtise en voulant changer de nom : Manouches, Gitans, Bohémiens Romanichels, Tziganes, c’est le même peuple ! Le seul vrai problème, c’est l’appellation « Gens du voyage », car c’est une désignation administrative qui regroupe tous les nomades, mais tous les nomades ne sont pas… Tziganes.

Vous dites : « nous avons une culture si particulière et si belle, mais il faut la faire connaître et par la même occasion changer une image désastreuse et fausse ! »

Il faut faire savoir que si nous sommes nomades, nous sommes en Europe depuis cinq cents ans ! Apparemment, personne ne sait aussi que les tribus Gitanes et Tziganes sont de tribus matriarcales. Chez nous la discrimination liée à l’âge n’existe pas : les 13-14 ans entre eux, les 18-20 ans entre eux, les 25-30 ans entre eux et ainsi de suite, sont des situations inconnues dans les tribus tziganes ! De même, offrir des fleurs n’est pas permis… car il faut les couper ! Pour nous, la réussite sociale n’a aucun sens : nous avons toujours travaillé au jour le jour, pour avoir de quoi manger le lendemain. D’ailleurs dans notre langue le mot lendemain n’existe pas ! Nous trouvons bébête d’accumuler des valeurs matérielles. Et chez nous la croyance en Dieu est très forte. Vous voyez, on est loin des clichés ! Les peuples Tziganes ont une grande richesse, de profondes traditions, une vie simple, qui n’est pas orientée vers l’avoir mais sur l’être !

Ce que vivent actuellement les tribus Tziganes et Gitanes en France est d'une grande tristesse, dites-vous... Vous évoquez même le malheur…

Sur tous les continents il y a toujours eu des nomades et ils ont toujours été mal vus par les sédentaires. Peut-être veut-on nous faire payer quelque chose ? La sédentarisation n’est pas un phénomène si ancien : cinq mille ou six mille ans avant Jésus-Christ, tous les peuples étaient nomades. De notre point de vue, avec la sédentarisation, l’humanité a énormément perdu ! Le nomadisme n’est pas le tourisme non plus ! Il nous arrive de bouger de cinq cents mètres et tout est différent ! Nous n’avons plus le même paysage devant nous et nous n’avons plus affaire aux même gens. Dans le nomadisme – et dans le meilleur de cas – vous poussez la porte de votre caravane et vous avez devant vous un espace à perte de vue… Nous pensons – et des chercheurs avec nous – que les guerres et la misogynie sont nées de la sédentarisation.
Aujourd’hui tout est contre nous ; nous sommes conscients qu’avant la fin de ce siècle il n’y aura plus de nomade dans le monde et, qui sait, peut-être qu’il n’y aura plus rien du tout… !

Vous êtes croyants, vous parlez du Christ. Comment votre foi dans le Christ vous aide à vivre votre vie nomade et dans votre combat pour la cause d’un peuple rejeté ?

Dieu c’est la profondeur des choses…Personne n’a jamais mieux parlé de la profondeur des choses que le Christ ! Comme dit le poète Jean Grosjean (40 livres magnifiques publiés aux Ed Gallimard, qui parlent du Christ) : « Je ne sais pas si le Christ a raison, mais je lui fais confiance ! ».

Vous avez le projet de créer un Centre Artistique Tzigane « consacré à des artistes exceptionnels qu’on ne voit jamais sur les scènes françaises et européennes ». Pour faire connaître la culture Tzigane ?

Nous voulons créer un Centre artistique tzigane car dans les campements gitans et tziganes il y a des artistes exceptionnels – acrobates, jongleurs, funambules, danseurs, musiciens –, que personne ne voit jamais ! Nous voulons témoigner et faire connaître les richesses du monde Tzigane.

Photo DR/Romanès