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Des hommes et des mots

Solidarité

15 Novembre 2011, 20:57pm

Publié par Patrice Branche

La Maison de Marie, maison de la Providence


Ni foyer, ni CHRS, ni halte de jour ou de nuit, ni hôtel, ni logement temporaire, ni même pension de famille, la Maison de Marie est, avant tout, une maison… de famille. Une maison un peu particulière, qui, dans un climat familial, accueille des hommes, des femmes venus de la rue, et de nombreux bénévoles et amis.

Les petits oiseaux et les lys des champs

Ici pas d’alcoologue, pas de salarié ni de travailleur social. La Maison de Marie est un lieu à part dans le paysage de la réinsertion et du soin des plus démunis : « Si nous étions affiliés à la DDCS# nous aurions des aides substantielles » fait remarquer Luce Bianco-Brun, à l’origine de la Maison de Marie. « Mais, prévient-elle, on ne pourrait plus parler de la Providence divine… et en vivre ! ». La Providence. La Maison de Marie a devant elle, en effet, quatre jours de stocks de nourriture, et pas de budget prévisionnel ! « Si personne ne nous donne, on fermera parce qu’on ne pourra pas nourrir nos hommes » constate Luce. Ici, mobilier, nourriture, tout est donné. Toujours à temps. Inquiétude du lendemain ? Non, confiance: « Vivre de la Providence divine, cela prend à la fois un sens pédagogique et un sens profond, parce qu’on touche du doigt l’Amour de Dieu pour les hommes » assure Luce. Et cela fait quatre ans que cela dure, dans la confiance de l’Évangile : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez » (Luc 12, 22).

La maison de la Providence

Les bénévoles et leurs nombreux amis se relaient sur place aux côtés des gens des rues, « pour faire en sorte que leur âme aille bien et que ça change quelque chose dans leur vie », précise Luce. « Parce que, poursuit-elle, mettre quelqu’un à l’abri, lui donner une soupe, si c’est déjà magnifique, ça ne règle pas le problème ». Le problème de ces hommes qui boivent pour oublier, « pour se tuer » – comme disent certains –, qui prétendent “avoir fait des choses horribles” dans leur vie, laissé tomber leur famille, volé et ne se pardonnent rien. « Ces hommes, ces femmes, ne se sentent pas aimés des humains, ni même de Dieu, donc ils ne s’aiment pas et n’aiment personne », souffle Luce.
Longtemps, les bénévoles se sont interrogés sur la cohérence de leur propre vie, tiraillée entre la recherche d’un certain confort et l’aide à ces cassés de la vie, entre engagement charitable et réponse radicale à l’appel du Christ. Aider, seulement, ne leur a pas paru suffisant, il fallait prendre soin de leurs compagnons errants dans l’intégralité de leur personne et vivre avec eux leur vie de foi. Des Soupières de Marie à la Maison de Marie, un long chemin de conversion !

L’histoire, en effet, prend racine il y a vingt quatre ans sur les Allées de Tourny, où quelques amies bordelaises cuisinaient des soupes qu’elles distribuaient à l’enseigne des Soupières de Marie, aux clochards du quartier. Vingt ans plus tard, la Providence leur ouvre les portes de sa maison, l’ancien presbytère de Saint Martial, à Bacalan, propriété de la ville.

Aujourd’hui, ceux qui entrent à la Maison de Marie – parce qu’ils veulent changer de vie –, savent qu’elle est sous la protection de la Vierge. Chrétiens, musulmans, bouddhiste, athées, personne ne leur demande de devenir de fervents catholiques : « On leur propose de laisser faire les choses pour être en paix ! » explique Luce. La transformation sera, pour certains, une résurrection qui les tournera mystérieusement vers Dieu et d’autres apprendront à rechercher simplement la paix. Ils se pardonneront à eux-mêmes, ils pardonneront aux autres.

Penouël, le lieu du combat

Luce, enthousiaste : « J’aime appeler la maison « Penouël », du nom donné par Jacob au lieu où il se battit jusqu’à l’aurore avec un ange qui était Dieu (Genèse 32,31) : dans cette maison les hommes se battent avec Dieu ! C’est à dire avec la Vérité. Ils devront accepter de ne plus vivre dans le déni et se laisser aimer comme ils sont. Si vous voyiez les combats qu’ils mènent d’abord par amour, par amitié pour nous ! ». Cassés, harassés, parce que les bénévoles les connaissent depuis longtemps, parce que la confiance est là, par amitié, ils finissent par poser leur sac place Saint Martial pour un combat qui parfois les dépasse. Un bénévole, ici, ne sort pas non plus indemne ! « Tous les jours j’apprends que je ne suis pas assez douce, pas assez convertie, j’apprends à mieux voir mes propres faiblesses, à reconnaître que sans Dieu je ne peux rien dans ce combat terrible » confie Luce. « Plus nous nous aimons entre nous, mieux ils vont. Et il est difficile de tricher, témoigne-t-elle : si ces hommes ne voient pas la joie, le pardon dans la maison, si le “discours” est “plaqué”, cela ne peut marcher ! C’est vrai, “ils sont nos maîtres” comme le disait saint Vincent de Paul ». Quand l’amour est visible, ces hommes se reconnaissent dans cette famille qui vient à leur secours et sont alors capables de si belles choses. Jacob ne disait-il pas au lever du jour : « J'ai vu Dieu face à face, et j'ai eu la vie sauve »?

Rencontre

Rencontre avec… Luce Bianco-Brun

La Maison de Marie, une œuvre extraordinaire ?

Non ! La Maison de Marie est un lieu ordinaire ! S’il y a quelque chose d’extraordinaire, c’est le combat des hommes et des femmes qui sont accueillis ici ! La Maison de Marie, c’est la Providence qui l’a ouverte aux hommes les plus cassés par des dizaines d’années de rues et de portes cochères. Pour qu’enfin ils puissent changer de vie – pas simplement fuir les trottoirs, arrêter de boire, de se droguer, etc. – mais se sentir aimés, aimer, pardonner à leur passé, se construire un avenir. Pour cela, ils savent bien qu’ils ne peuvent faire l’économie d’un changement d’âme ! Les bouleversements peuvent être profonds. Nous avons aujourd’hui trois catéchumènes dans la maison. Cette année une voisine – ralliée à la cause de la maison – sera baptisée à Saint Martial ! C’est bouleversant de pouvoir accompagner cette femme qui a fait un sacré chemin jusqu'au Christ en servant les plus démunis!

Il est beaucoup question du pardon à la Maison de Marie…

Le pardon, nous en parlons toute la journée ! Le pardon, l’amour, la miséricorde de Dieu – qui va avec le pardon ! La règle est intangible : on ne se couche pas si on n’a pas demandé pardon à celui qui a été agressé. Quelquefois cela prend du temps : certains viennent frapper à ma porte à une heure du matin pour me dire : « Voilà, on s’est demandé pardon »…

Pourquoi vous vous être engagée d’une manière si radicale dans la Maison de Marie ?

Cela s’est fait presque sans moi. Au départ, il y a longtemps, j’ai été touchée par la détresse vertigineuse physique et morale des hommes qui vivent à nos portes et qui s’abîment en s’anesthésiant dans l’alcool ou la drogue. J’ai simplement eu honte d’aller bien, de vivre bien en oubliant mes semblables…mes frères. Nous, chrétiens, nous ne pouvons écouter l’Evangile et continuer à vivre une vie paisible et protégée sans entendre au fond de nous « c’est à moi que tu le fais ». Il m’a semblé que je trichais : ou l'Évangile était vraiment le Parole de Dieu – plus tranchante qu’un glaive – et je devais la suivre et… en vivre, ou elle n’était pas la Parole de Dieu et je pouvais continuer à vivre paisiblement, honnêtement, raisonnablement. J’ai juste dit « oui, ceci est la Vérité mais j’ai si peur de la vivre ». Alors le Seigneur a fait le reste, lentement, inexorablement et je sais que ce n’est pas fini… Il s’occupe de tout, de l’âme de chacun, avec une patience ineffable car il nous aime et nous veut à lui… pour l'Éternité dans sa Joie, dans sa Paix. Il tisse alors nos vies avec ceux que nous reconnaissons comme frères parmi les exclus pour ne faire qu’un avec Lui. Un mystère époustouflant …d’Amour.

Gens des rues

Les personnes accueillies restent en moyenne un an et demi. Certaines, très abîmées, malades, ou âgés ne partiront jamais… Les jeunes (4 de 18 à 23 ans) ! Ceux-là n’ont pas le choix : ils sont remis au travail ou en formation avec un rythme de vie ; le sevrage est exigeant ! Sur 16 personnes, 7 travaillent. Ils trouvent un job à travers le réseau chrétien des amis, par le bouche à oreille (vendanges, déménagements, nettoyage, peinture, chauffeur, plonge, ménage …) Ils sont très courageux. Quand tout va bien, on trouve un appartement à celui qui part, on l’installe, il libère une chambre pour un autre mais reste en lien avec un bénévole référent. Ils reviennent à la maison quand ils le veulent, c’est le port d’attache, la famille…

Bénévoles

Cuisiniers, veilleurs de nuit : amis, maris d’amies, scouts et guides aînées, étudiants en médecine, avocat, aiguilleur du ciel, informaticien, médecin… les bénévoles se relaient jour et nuit. Tous les soirs un homme ou deux dort à la maison pour assurer une présence masculine. Croyant ou non, personnes très attachées à l’Église, de toutes les paroisses, toutes les tendances sont représentées, « de l’Emmanuel aux tradis », chacun s’y retrouve ! De nombreux prêtres, jeunes ou âgés, accompagnent la Maison de Marie. La Présence Réelle est la Source de toute cette vie ordinaire d’une aventure extraordinaire.

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